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Au maître, au confrère, à l'ami : florilège d'envois à Paul Bourget

André Gide (1869-1951)

Dans Les Faux-Monnayeurs en 1925, Paul Bourget est égratigné comme romancier par un personnage romanesque. André Gide en fit une référence idéologique et littéraire à combattre, comme Maurice Barrès et Charles Maurras (Jean-Michel Wittmann, « Maurras, Barrès et Bourget dans Les Faux-Monnayeurs. Fonction et enjeux de trois allusions nominatives », Roman 20-50, 2009/2, n° 48, p. 117-126). Mais, dix ans auparavant, avec Les Caves du Vatican en 1915, Gide se serait référé à l’auteur de Cosmopolis (1893) en revisitant dans cette mise en abyme avant l’heure les thèmes habituels de l’auteur de romans psychologiques. Gide est un lecteur de Bourget depuis sa jeunesse, sans le considérer comme un maître. Gide partagea ainsi le mépris affiché de Valéry pour un auteur estimé suranné écrivant des romans à thèse dépassés, alors que l’académicien a toujours encouragé des jeunes auteurs dont Gide. Ce dernier utilise Bourget pour le réfuter, en soulignant son manque d’autodérision et de distance comme en témoigne son journal en 1930, cité par Pierre Masson :

Lorsque, quittant un instant Le Démon de Midi, je reprends Goethe, je sens aussitôt à quelle distance du monticule Bourget s'élèvent les cimes du vrai Parnasse. [...] Même l'aspect « sérieux » de son œuvre prête à sourire, et cette absence d'ironie envers soi-même invitera bien vite, invite déjà l'ironie du lecteur. [Cité par Pierre Masson, « Paul Bourget au pays d’André Gide ou le cave du Vatican », infra]

Entre condescendance et admiration, l’attitude de Gide est très ambigüe vis-à-vis de Bourget. Gide lui dédia ainsi sa préface à la réédition des Fleurs du Mal de 1917, mais il supprima cette dédicace lorsque cette préface fut rééditée. Bourget fut interloqué par l’hommage de Gide. Il l’en remercia par une lettre dans laquelle il établit une filiation littéraire de romancier psychologique avec ce faux disciple.

Je pense souvent à vous, à la Porte étroite, à André Walther, et je voudrais savoir que vous écrivez un nouveau roman. Vous avez de si beaux dons d'artiste psychologique qu’il ne faut pas les laisser en sommeil, même pendant – je dirais fi surtout pendant cette période catastrophique. Sachez qu’aucun lecteur n’ouvrira votre prochain livre avec plus de désir de s’y enchanter que votre très dévoué et obligé Paul Bourget. [Cité par Pierre Masson, « À propos d’une dédicace (lettres inédites) », Bulletin des amis d’André Gide, n° 13, 15 octobre 1971, p. 3-9]

 Gide avait rencontré Bourget par l’intermédiaire de son amie la romancière américaine Edith Wharton. Il est invité le 26 novembre 1915 dans la résidence hyéroise de l’écrivain, le Plantier de Costebelle. Selon le journal de Gide, leur conversation porta sur la nature et la dénomination de l’homosexualité de Michel, personnage de L’Immoraliste paru en 1902. Bourget serait alors pour Gide « un modèle que l’on réfute » jusqu’à en faire l’un de ces romanciers décriés des Faux-Monnayeurs.

Pour en savoir plus :
MASSON, Pierre, « Paul Bourget au pays d’André Gide ou le cave du Vatican », Bulletin des amis d'André Gide, n° 43, juillet 1979, p. 33-41.




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